26 JANVIER 2017 - Page 19
TERROIR
DES DOMAINES ET DES
VINS
Le bouquet des rouges de Mirabilis
À Agiez,
Pierre-Yves Poget révèle tout le potentiel des terroirs adossés aux calcaires du Jura,
propices à de grands vins rouges.
Dans le
pimpant local d’accueil et de dégustation aménagé par Pierre-Yves Poget au rez de la
maison familiale d’Agiez (VD), de petites compositions florales posées sur les tables
évoquent discrètement l’origine du nom de la cave: Mirabilis, une famille de fleurs
dont la plus connue est la belle-de-nuit. On les doit à Annick, l’épouse de
Pierre-Yves, que son métier de fleuriste n’empêche pas de seconder son mari dans la
gestion de l’exploitation. Au mur, une autre fleur, plus volumineuse, attire l’oeil:
une étonnante sculpture réalisée avec une barrique usagée, dont les lattes ouvertes
en pétales révèlent un subtil dégradé de carmins où la gravelle scintille comme une
gemme. C’est l’oeuvre du vigneron lui-même. Cette surprenante mise en valeur d’une
beauté d’ordinaire cachée reflète son aptitude à tirer le meilleur de son domaine –
ces terroirs des Côtes-de-l’Orbe parfois injustement sous-évalués.
Bien sûr, les
Poget avaient déjà attiré l’attention des dégustateurs dès la fin des années huitante,
du temps du père, André, lequel s’était mis à vinifier par passion les parchets
familiaux en plus de gérer les cultures et le bétail de sa ferme. En le rejoignant à
l’orée de l’année 2000 sur la lancée de sa formation, puis en reprenant la cave en
2012, le fils a continué à mettre l’accent sur la vocation viticole du domaine,
abandonnant les vaches, développant la surface de vignes pour atteindre les 3,8
hectares actuels (certifiés Vitiswiss), et poussant la qualité à de nouveaux standards
attestés par de nombreuses distinctions.
La pierre jaune comme l’or
Les rouges de
la cave Mirabilis, de fait, collectionnent les médailles: l’or et le Prix du jury au
Mondial du merlot 2014, l’argent la même année au Mondial du pinot noir, un palmarès
tout aussi éloquent pour le gamay en barrique Le Clos à la Sélection des vins vaudois
– et ce ne sont que des exemples. «On a des terroirs qui se prêtent bien aux rouges,
notamment à Agiez et à Montcherand, où les sols sont légers et très calcaires, reconnaît
Pierre-Yves Poget. La pierre jaune que l’on extrayait autrefois des carrières proches
du village est d’ailleurs la même que celle que l’on trouve à Saint-Émilion.» Une
similitude qui convient bien aux différentes variétés de cabernet qu’il a plantées, et
qui complètent le merlot dans un assemblage très bordelais baptisé d’un autre nom de
fleur, Eucharis, lui aussi plusieurs fois médaillé. «Ça montre que des vins qu’on ne
peut pas qualifier de «vins à concours» sont capables de séduire un jury, observe le
trentenaire. Pour les rouges, je cherche parfois la puissance, parfois la vivacité.
Les blancs, en revanche, je les aime en général secs et friands. Et j’apprécie de plus
en plus le chasselas.»
C’est donc du
chasselas qu’il a planté en 2012 sur la Côte de Bellevue, parcelle mythique exposée
plein sud en pleine ville d’Orbe, en déshérence depuis des années jusqu’à son rachat
par un nouveau propriétaire. «Elle était en friche, et avec son dénivelé pouvant
atteindre 55%, sa topographie compliquée coupée de murs et d’escaliers, aucun des
vignerons approchés pour l’exploiter n’a voulu se lancer. Moi, j’ai tout de suite vu
son potentiel.» Après un énorme boulot de défrichage et de terrassement, ses 4400 m2
ont livré une première récolte en 2015. À la hauteur des attentes de Pierre-Yves Poget,
en dépit de la sécheresse du millésime. Il faut dire que c’est une constante de
l’appellation. «Avec 750 mm en moyenne annuelle, il pleut moins que dans le Chablais
ou en Lavaux, fait remarquer le vigneron. Et le Jura fait obstacle aux orages d’été,
qui sont moins forts et moins fréquents. Mais les années sèches sont difficiles,
d’autant qu’on est enherbé partout.» Et si le climat est sec, il n’en est pas chaud
pour autant: «Pour les cépages tardifs, on est à la limite climatique.»
Après la vigne, les moissons
Cette limite,
Pierre-Yves Poget la respecte à la lettre. Pas question, par exemple, de se lancer
dans un surmaturé, le passerillage sur souche étant exclu sous ces latitudes... En
revanche, il se verrait bien arracher un peu de gamay de sa parcelle de Montcherand
pour y replanter du pinot noir dans l’idée de faire un effervescent. Avant ça,
quelques plants de sauvignon blanc auront sans doute la priorité, histoire d’ajouter à
une gamme déjà très éclectique (12 vins, dont 4 assemblages et 4 élevages sous bois)
une spécialité blanche et sèche, complément idéal de son gewurztraminer et de son
blanc de noirs. Bref, largement de quoi occuper le vigneron, secondé par ses parents
et son épouse. Avec deux jeunes enfants d’âge scolaire, on comprend qu’il n’ait plus
guère le temps de pratiquer autant que par le passé le VTT. D’autant que le domaine a
conservé 35 hectares de champs, qui lui prennent «un bon 15 à 20%» de son temps.
«L’été, dès que les travaux de la vigne sont terminés, on commence les moissons!»
Blaise Guignard
EN CHIFFRES
Le domaine,
c’est:
-
Surface 3,8
hectares en AOP Côtes-de-l’Orbe, sur les communes d’Agiez, Rances, Montcherand et
Orbe.
-
Cépages
cultivés Chasselas, savagnin rose aromatique, gamay, gamaret, garanoir, cabernet
sauvignon, cabernet franc, cabernet dorsa, merlot.
-
Encavage 27
000 bouteilles/an environ.
-
Spécialités
Gamay élevé en barrique Le Clos, assemblages Mirabilis et Eucharis.
À LA CAVE
Nous avons dégusté trois vins de Pierre‑Yves Poget
Le Clos Gamay 2015
Cépage
Gamay. On l’aime Très joli vin de plaisir, empreint de légèreté, il nous a
séduit dès le premier nez par son bouquet particulièrement expressif, très frais dans
sa définition, aux parfums de petits fruits des bois, agrémenté de senteurs épicées
évoquant le poivre blanc. En bouche, l’attaque est toute de rondeur. Gourmande,
croquante, dotée de tanins très fins, elle se révèle claquante de fruits et diablement
friande. On le sert Aux côtés de nouilles chinoises sautées au porc, petits
légumes et coriandre, escortant aussi des râbles de lapin aux olives. On le
garde 3 à 5 ans. On l’achète 10 fr. 75 (prix départ cave).
Pinot Noir 2015
Cépage
Pinot noir. On l’aime Paré d’une robe rubis finement tuilée, ce beau pinot
noir exhale, derrière un premier nez encore un peu timide, droit et posé, de
magnifiques senteurs de petites baies, de mûres et de cassis, soutenus par la fraise
des bois, et de fruits rouges du verger évoquant la cerise. La bouche, aux tanins
présents, charme par son caractère, l’équilibre et l’élégance qui s’en dégagent.
Gorgée de fruits, elle ne laissera personne de marbre. On le sert On ose
l’accord avec un pavé de thon mi-cuit, de petites cailles rôties ou un filet d’agneau
aux herbes et poêlée de girolles. On le garde 3 à 4 ans. On l’achète
12 fr. 30 (prix départ cave).
Eucharis
2015
Cépages
Cabernet dorsa, cabernet franc, cabernet sauvignon, merlot. On l’aime Nous
avons été conquis par ce superbe flacon à la robe aubergine, intense. Complexe,
envoûtant, il marie avec bonheur des parfums de fruits à noyau, de tabac blond, de
sous-bois et de cuir, enveloppés par un boisé fin et élégant. La bouche n’est pas en
reste. Harmonieuse, structurée et soyeuse, tout semble en place pour une
interprétation de classe. On le sert Il saura sublimer un classique
tournedos de boeuf façon Rossini. On le garde 8 à 10 ans. On l’achète
22 fr. (prix départ cave).
Éric
Bernier
Ill 1. Aussi
modeste que talentueux, le discret et très sympathique vigneron Pierre-Yves Poget
vinifie en majorité des cépages rouges et élabore des cuvées de toute beauté. Ill
2. La cave du domaine Mirabilis, construite en 2007, accueille entre autres un
photogénique chai à barriques où sont élevés de remarquables rouges. © PHOTOS ÉRIC
BERNIER
+ D’INFOS
www.vins-poget.ch
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